La France, l’autre pays de la bière belge

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Au lendemain de la fête nationale belge, Bière Actu s’intéresse au marché de la bière belge en France. Plus de 3 millions d’hectolitres ont été importés l’an dernier, malgré l’essor des microbrasseries et une consommation qui stagne.

En 2021, la France a importé 301 millions de litres de bière belge (3 M HL), pour une valeur globale de 406 millions d’euros. Si l’on compare avec les années précédentes, ces volumes sont en légère baisse par rapport à 2020 (- 0,92 %) mais en forte progression (+ 11,2 %) par rapport à 2019 (source : lekiosque.finances.gouv.fr). Ces quinze dernières années, le marché français de la bière a été complètement chamboulé par l’essor des microbrasseries. On en compte aujourd’hui près de 2 400, selon Le Rigal de la Bière. Par ailleurs, la consommation moyenne stagne à 33 litres par an et par habitant.

« La France est un marché historique pour les brasseries belges, explique Adrien Degrés qui a créé il y a quatre ans la société d’import La Biérothèque belge. Il y a une quinzaine d’années, les gros ont ouvert le marché et les autres en ont profité. » Leffe (AB InBev) reste la bière belge la plus vendue en France, selon lefigaro.fr dans un article publié le 15 avril. Mais le groupe belgo-brésilien n’est pas le seul à avoir trouvé dans le marché français, un Eldorado. La Brasserie Dubuisson aussi, pour qui la France est le premier marché de sa Cuvée des Trolls. Ou plus récemment, la Brasserie Omer avec la Tripel Lefort. Sans oublier les bières trappistes, Tripel Karmeliet, Duvel ou Chouffe. « Il y a quinze ans, les brasseries belges arrivaient avec de bonnes bières à des prix raisonnables. C’est ce qui explique leur succès. En France, dans une cave ou dans un bar, il y aura toujours une place pour la bière belge. La Chimay Bleue, par exemple. »

« Il n’est pas envisageable que je me passe des bières belges. »

Christèle Zamprogno, caviste.

A ses débuts, Adrien Degrés tenait aussi une cave à bière dans le 18e arrondissement de Paris. Mais trop accaparé par son travail de distributeur, il a dû la fermer début 2020, quelques semaines avant le début de l’épidémie de Covid-19. Deux ans plus tard, il reste très optimiste sur l’avenir de la bière belge en France : « En sortie de crise, nous avons un coup à jouer. Le rapport qualité/prix des bières belges est excellent et la demande augmente de jour en jour. L’avenir sera encore meilleur parce que les coûts de transport augmentent, ce qui pénalise les bières étrangères, mais c’est positif pour la bière belge. » La Biérothèque belge a ses entrepôts près de Tournai, à moins de 3 h de route de Paris où se situe la grande majorité de sa clientèle. L’année dernière, Adrien Degrés a importé un millier d’hectolitres, volume qu’il prévoit de doubler et même tripler cette année.

La bière belge, une valeur refuge

La Senne, La Mule, Rulles, Dubuisson, De Dochter van de Korenaar, Dupont, De Ranke, Rochefort, Westmalle, Orval, Cantillon, Lupulus, Minne, Boon, Rodenbach… chez BeerZ, à Cherbourg-en-Cotentin (Manche), Christèle Zamprogno propose à sa clientèle plus de 55 bières belges parmi un éventail de 450 références. « Les bières belges représentent, selon les arrivages, 12 à 18 % de mon offre. Ce sont des produits accessibles, emblématiques et stables. Les trois références les plus prisées : Guldenberg, Orval et Bons Vœux. La clientèle sur les bières belges est vraiment très variée : les geeks sont toujours prêts lorsque j’ai des arrivages de Cantillon, Tilquin ou 3F, mais aussi pour l’Orval ou la Kriek De Ranke. Les plus novices qui commencent leur itinéraire de découverte vont très facilement se laisser convaincre par les gammes de Dupont, De Ranke, La Senne… Ils vont y revenir et ensuite élargir leurs choix. Et puis il y a les moins aventureux qui se raccrochent à ce qu’ils connaissent déjà et ne veulent pas essayer autre chose. Dans ce cas, la Westmalle, la Bush ou la Rochefort sont des bons points d’accroche dans le rayon. »

« Les crafteux belges capitalisent sur un savoir-faire très ancien. »

Anthony d’Orazio, distributeur.

Depuis l’ouverture de sa cave en 2017, Christèle Zamprogno a vu émerger plusieurs jeunes brasseries belges plus ou moins accessibles en France, un marché qui pousse les brasseries plus traditionnelles à proposer de la nouveauté et un début d’utilisation de la canette, peu courante en Belgique. Chez BeerZ, la bière belge pèse environ 20 % du chiffre d’affaires annuel. Christèle Zamprogno ne se voit pas faire sans : « Mes bières sont classées par styles et par goûts et je compose ma gamme pour étoffer l’offre dans ce sens. Il n’est donc pas envisageable que je me passe des bières belges. Ma cave est le reflet de mes goûts et de mes choix. Mélange de tradition, de bières emblématiques, de choix faciles mais qualitatifs et de bières très geeks. »

La tendance craft belge, vue de France

A l’instar des traditionnels gueuziers qui se sont vu attribuer d’office une place dans le tour de table, la nouvelle génération de brasseries belges cherche aussi à jouer des coudes. « Les crafteux belges capitalisent sur un savoir-faire très ancien, constate Anthony d’Orazio, fondateur de la société de distribution Hop Culture. Ils n’ont pas apporté grand-chose sur les IPA. En revanche, ils sont champions sur le travail des levures. La Mule réinvente le côté traditionnel de la bière en revisitant les styles. Dupont est sur la vague. Cantillon aussi bénéficie du développement de la craft. Sur ces brasseries-là, comme sur La Senne, Borinage, ‘t Verzet, Misery ou La Source, il y a énormément de demandes. Elles s’inscrivent dans cette tradition belge tout en bousculant les codes. »

Si la tendance craft a mis plus de temps à émerger en Belgique qu’en France, cela vient sans doute du fait que les nouvelles brasseries ont du mal à trouver leur place au milieu des grandes brasseries historiques. Pourtant, elles jouissent d’une très bonne réputation. « Lorsque la vague craft, partie des Etats-Unis, est arrivée en Europe par l’Italie, les bières italiennes étaient très chères, tandis que la Belgique a toujours pratiqué des tarifs très concurrentiels, explique Anthony d’Orazio. En cela, elles se sont toujours démarquées sur la scène craft et se démarquent encore aujourd’hui. Quant aux brasseries traditionnelles, elles n’ont pas de souci à se faire : leur réputation est faite et elles sont indémodables. »

La Triple belge à la française

Les brasseries françaises n’ont pas eu de scrupules à s’approprier certains styles typiquement belges comme les Triples ou les Saisons, par exemple. Lors de la dernière édition du Concours Général Agricole, encadré notamment par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, la Bracine Tripel (9 % alc/vol) de la Brasserie du Pays Flamand (Blaringhem et Merville, 59) a été décorée d’une médaille d’or dans la catégorie des bières blondes de haute fermentation avec un taux d’alcool supérieur à 6 %. « C’est une bière que nous brassons depuis le lancement de la Brasserie en 2006, souligne Mathieu Lesenne, co-fondateur. La Bracine se décline en Pale Ale, Amber Ale, Tripel et Porter. La Tripel avait déjà obtenu une médaille d’or au Concours Général Agricole, en 2009. »

La robe orangée et l’épaisse mousse de la Bracine Tripel, ses notes fruitées de banane, sa fine amertume sont autant de marqueurs qui rappellent le style traditionnel belge. « Nous souhaitions ancrer notre Brasserie dans le terroir et faire des bières typiques de chez nous, poursuit Mathieu Lesenne. La Brasserie du Pays Flamand est arrivée avec cinq ans de retard sur le marché des IPA, parce que nous avions nos styles historiques : des bières corpulentes, fortes, conviviales, de haute fermentation, non filtrées, non pasteurisées, refermentées en bouteille. Nous sommes flamands, nos grands-parents parlaient flamand, nous revendiquons notre identité flamande. C’est culturel et patrimonial. Il y a une frontière sur notre territoire, mais nous partageons la même histoire. »