A Soligny-la-Trappe, les moines ressuscitent une bière oubliée du XIXe siècle. Grâce à l’exhumation d’une vieille recette, la Hercelin voit le jour : un brassin artisanal inspiré d’une longue histoire monastique.
Depuis la fin du mois de juin, au cœur de la Normandie, la vie monastique se goûte aussi dans un verre : les moines trappistes de l’Abbaye Notre-Dame de la Trappe, à Soligny (61) ont ressuscité une bière oubliée depuis plus d’un siècle, fruit d’un patient décryptage d’archives et d’un savoir-faire local exigent. La Hercelin (5,8 % alc/vol), produite à seulement 2 500 exemplaires, n’est vendue qu’à l’abbaye, où chaque gorgée raconte près de neuf siècles d’histoire et de résilience.
Une abbaye de légendes, entre tragédies et renouveaux
Fondée vers 1140 par Rotrou III en mémoire de son épouse Mathilde, victime du naufrage de la Blanche-Nef, l’abbaye de Soligny est devenue rapidement un pilier du réseau cistercien. Si les siècles voient le monastère s’imposer dans l’agriculture et l’économie, la communauté doit aussi traverser pillages et destructions lors de la guerre de Cent Ans ou de la Révolution française.
La tradition trappiste naît au XVIIe siècle, sous l’impulsion radicale de l’abbé de Rancé. Chassés par la Révolution, les moines ne reviennent qu’en 1815, rebâtissant patiemment chapelle et hospitalité du XIIIe siècle, bâtissant aussi une prospérité nouvelle autour de productions agricoles et artisanales : pharmacie, imprimerie, chocolaterie… et désormais… bière.
L’histoire oubliée d’une bière
« La première brasserie à la Trappe a été construite il y a 350 ans, confie le père abbé, Dom Thomas Georgeon. On brassait de la bière pour les frères. » L’activité brassicole disparaît avec l’exil des moines sous la Révolution. Mais récemment, en fouillant les archives, Dom Georgeon exhume un manuscrit de 1846, à demi effacé. Il s’accroche : « Avec patience et persévérance, j’ai reconstitué la recette oubliée d’une bière jadis produite à Soligny » , explique-t-il à RCF. Pour concrétiser cette résurrection, les frères s’associent à La Vertueuse, une brasserie locale et chrétienne engagée. « Nous utilisons l’orge cultivée à 5 km de la brasserie ; l’eau, elle, coule d’une source de l’abbaye : c’est une vraie collaboration, qui a du sens ! » , explique Céline Haye, co-fondatrice de la brasserie, à l’hebdomadaire Famille Chrétienne.
La Hercelin, bière blonde Bio, qui porte le nom d’un abbé bienfaiteur du XIXe siècle, architecte de la renaissance du monastère, est brassée en édition limitée. « C’est modeste, mais nous renouons avec une tradition historique » , se réjouit Dom Georgeon. Pourquoi la commercialisée uniquement à l’abbaye ? « C’est une invitation. Une manière de raconter une histoire, de faire vivre un lieu, et de dire quelque chose de la foi et de l’espérance qui nous habitent » , affirme-t-il.
Tradition, partage et évangélisation
Au-delà du goût, la Hercelin exprime une vision du monde, mêlant tradition, spiritualité et convivialité. Pour Dom Georgeon : « Il y a évidemment un but économique, mais nous souhaitons aussi raconter une histoire… C’est un outil d’évangélisation […] et nous sommes souvent surpris par la qualité du silence des visiteurs dans l’église. »
A Soligny, la mémoire prend aujourd’hui la saveur dorée d’une bière trappiste, où chaque bulle raconte une aventure humaine, spirituelle et artisanale, à savourer dans le silence habité de l’abbaye. Devant le succès de cette bière commercialisée depuis le 28 juin, un second brassin a été réalisé le 11 juillet, jour de la fête de St. Benoît, le père du monachisme occidental, dont les moines cisterciens suivent la Règle. ■

Journaliste depuis plus de 25 ans, Olivier Malcurat entre dans l’univers de la bière en 2018 avec Le Pod’capsuleur, le podcast qui aime la bière et les brasseurs. En juillet 2020, il lance Bière Actu, un site d’information indépendant et participatif à trois voix : journalistes, experts et professionnels.