La 3e édition de Beerdays s’est ouverte ce matin à Rouen. 35 brasseries sont au rendez-vous, dont 16 brasseries normandes. La Normandie où le renouveau brassicole a débuté en 1997 et qui compte aujourd’hui 160 brasseries.
Le renouveau brassicole débute en Normandie en 1997, avec la Ferme-Brasserie Northmæn (La Chapelle-Saint-Ouen, 76). Vingt-cinq ans plus tard, elle emploie sept personnes, produit 5 000 HL/an et se positionne à la seconde place des brasseries normandes en termes de volumes, derrière la Brasserie De Sutter (Gisors, 27). Celle qui fait figure de pionnier porte un regard extrêmement bienveillant sur le paysage brassicole normand, tout en redoutant les conséquences de la crise actuelle liée aux hausses de prix des matières premières et fournitures. « Il y a 160 brasseries en Normandies, mais vont-elles résister ?, s’interroge Olivier Spicht, responsable commercial de la Ferme-Brasserie Northmæn. Nous sommes beaucoup trop nombreux sur le marché et le nombre de brasseries nous fait du mal aussi. Mais ce qui est inquiétant, c’est que beaucoup ne se versent pas de salaire. Cela me fait mal au coeur de voir des brasseurs passionnés, qui aiment leur métier et qui galèrent. » Selon Jean-Luc Hanin, président de l’association Les Amis de la Bière Normande, quatre brasseries du territoire seraient en grande difficultés, dont Monolith Brewery (Le Houlme, 76), qui vient d’annoncer sur les réseaux sociaux qu’elle allait réduire la voilure et fermer son actuel site de production. Le brasseur, Antoine Heullant, a d’ores et déjà trouvé un emploi chez Northmæn et espère malgré tout continuer à produire des bières Monolith, en activité secondaire. A Caen (14), La Bieregerie, créée en 2012, met aussi la clé sous la porte. Selon nos informations, la raison relève plus de problèmes relationnels entre associés (Gildard Launay, Mickael Diascorn et Renaud Tignon). Un repreneur était sur les rangs mais n’a pas obtenu les financements nécessaires. La Bieregerie met donc son matériel en vente et liquide ses stocks. Autre fermeture : celle de la Brasserie Riva Bière, à Ouistreham (14). « J’arrête mon activité pour différentes raisons, augmentations des coûts de production, impossibilité de mettre en place des ateliers, problèmes liés à la taille de ma brasserie et au temps que j’arrivais à y consacrer. Voila, je tourne une page, une belle page dont je suis très fier, mais qui me semble être terminée » , explique le brasseur sur sa page Facebook.
Face à la conjoncture actuelle, d’autres brasseries font le dos rond, espérant qu’arrivent rapidement des jours meilleurs. Cet été, la Brasserie de l’Apocalypse (Bois-Jérôme-Saint-Ouen, 27), a dû faire face à trois mois de pénurie de céréales. « Je sors de trois mois de pénurie de malt Pils et Pale Ale bio, témoigne le brasseur, Baptiste Cazayous. Notre fournisseur ne parvenait plus à s’en procurer. On a du mal à se fournir, mais on ne veut pas passer en conventionnel pour autant. Le climat n’aide pas non plus : nous devions brasser notre bière de Noël en octobre mais les oranges avaient le goût de flotte. J’ai pris un mois de retard sur la production et elle arrivera début décembre, trop tard pour l’intégrer dans notre calendrier de l’Avent. Nous avons donc renoncé à sortir un calendrier cette année. » Pour traverser la crise actuelle en limitant les dégâts, la Brasserie de l’Apocalypse a choisi de renforcer sa présence dans les bars pour produire plus de fûts. Elle dispose d’un parc limité de quarante fûts et conditionne temporairement en fûts Dolium avant de passer en leasing, avec Soofût. C’est la première participation de la Brasserie de l’Apocalypse au Beerdays. « Ca commence mieux qu’à la foire internationale de Caen ! » , assure Baptiste Cazayous devant la fréquentation du salon ce vendredi matin.
Les crises, Clément Yvelin connaît ! Co-fondateur de la Brasserie Bakbuk (Sotteville-lès-Rouen, 76) fin 2019, il a dû faire face à la crise sanitaire puis au départ de son associé qui a quitté l’entreprise six mois après sa création. « Les débuts ont été difficiles, se souvient-il. Surtout pour se faire connaître, nous n’avions que le bouche à oreille. La fermeture des bars nous a forcés à revoir notre stratégie. » Avec son Braumeister 500, Clément Yvelin produit, seul, 150 HL/an. Sept bières permanentes et des bières éphémères, toutes certifiées Bio. Pour la deuxième année consécutive, il participe au Beerdays, au cœur de sa zone de chalandise puisqu’il distribue ses produits essentiellement en Seine-Maritime et dans l’Eure et commence à se développer sur les départements du Calvados et de l’Orne. Lui aussi souhaite développer le conditionnement en fût pour pouvoir être plus présents dans les bars de la région. « Nous sommes une petite brasserie, avec peu d’espace de stockage. Nous sommes donc confrontés aux ruptures de matières premières et aux difficultés d’approvisionnement. Alors on improvise ! Cela laisse la place à l’imagination pour trouver des solutions ! »
A Martin-Eglise (76), la Brasserie Dieppoise vient de passer à la vitesse supérieure. La pico-brasserie de 100 litres a laissé place depuis le 21 janvier, à une salle à brasser de 10 HL complétée par quatre fermenteurs de 10 HL et un de 20 HL. « Nous avons conservé la pico-brasserie pour produire de petits volumes, des bières éphémères ou des bières spécifiques pour des entreprises, par exemple » , explique Charlotte Cordier. La Brasserie Dieppoise propose une gamme de cinq bières permanentes et brasse aussi des bières éphémères, comme sa dernière collab’ en date, avec la Malterie Soufflet. « C’est l’ENSAI’Ale, qui met en avant le Tour Ambré, un malt spécial de la Malterie Soufflet, souligne le brasseur, Julien Leboeuf. La recette contient aussi du Pale Ale, du Pilsen et du Munich, et du houblon Colombus pour l’amérisation. » En 2023, la Brasserie Dieppoise continuera de se déployer puisque Julien Leboeuf abandonnera son métier de kinésithérapeute pour se consacrer à temps plein à la Brasserie. Il espère produire 300 HL de bière finie, avec le concours de Patrick Boivin (IFBM) qui prend sa retraite. Associé de la Brasserie Dieppoise, il assurera notamment le contrôle qualité de la production.
La Brasserie LH Beer Factory (Le Havre, 76), connue pour ses marques Saint Joseph et Normand’Ale, porte aussi une lueur d’espoir dans la sombre conjoncture actuelle. Née en 2019 de la rencontre entre un brasseur (Alexis Rio) et d’un restaurateur désireux d’ouvrir un bar à bière au Havre (Etienne Delavault), elle a commercialisé ses premières bières en juillet 2020. Etienne Delavault a d’abord aidé Alexis Rio à développer la Brasserie, sans perdre de vue le projet de bar à bière. Le Craft, the place to beer, ouvrira la semaine prochaine en face de la gare SNCF du Havre, avec la spécificité de ne proposer que de la bière artisanale et du cidre artisanal produits en Normandie. « La seule entorse sera sur la bière sans alcool car il n’en existe pas encore en Normandie, explique Etienne Delavault. Je voulais un bar ouvert aux autres, pas uniquement à nos bières. Je ne suis pas en guerre contre les industriels, mais il faut éduquer le consommateur. Je compare souvent la bière au steak haché. Il y a une différence entre celui du boucher et celui de l’industriel. Au Havre, il est difficile de vendre car 9 bars sur 10 sont sous contrats brasseurs. » Au Beerdays, LH Beer Factory présente avec beaucoup de fierté sa Bière d’Hiver, une Pastry beer au grué de cacao, fève tonka, sel de l’Himalaya et rhum arrangé à la vanille. Cette bière ambrée, titrant à 7,8 % alc/vol, est légère et gourmande, très bien équilibrée. « Nous avons mis huit mois à la créer, précise Etienne Delavault. Ma femme est pâtissière, d’où le style Pastry. Nous voulions une bière qui sorte des sentiers battus de la Bière de Noël très ronde et épicée. » ■
Journaliste radio depuis plus de 25 ans, Olivier Malcurat est entré dans l’univers de la bière en 2018 lorsqu’il crée Le Pod’capsuleur, le podcast qui aime la bière et les brasseurs. En juillet 2020, il lance Bière Actu, un site d’information indépendant et participatif, basé sur un concept à trois voix : journalistes, experts et professionnels.