Gabriel Charrin (Les Brassés) : « Ce n’est pas quand les trésoreries sont mises à mal qu’il faut baisser ses marges pour augmenter son volume de vente ! »

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Le président des Brassés (brasserie et restaurant) à Nantes, Gabriel Charrin, signe une tribune sur LinkedIn dénonçant la vente de bière à prix cassés, prônant la qualité, le développement durable, les filières courtes et le marketing, notamment.

Avec l’aimable autorisation de l’auteur, Bière Actu reproduit cette tribune dans son intégralité :

En mars, les foires à la bière se sont multipliées dans la GMS et magasins spécialisés. Au regard des prix que certaines brasseries artisanales pratiquent, on peut dire que le terme « foire » est approprié !

D’aucuns comparent souvent les artisans brasseurs aux vignerons. Même si je désapprouve cette comparaison, dans le sens où le vigneron produit lui-même sa matière première avec tous les risques que cela représente. Cette allusion me rappelle un phénomène de marché que le vignoble français a vécu dans les années 1990. Après les années fastes des années 1980, les gelées de 1991 viennent réduire considérablement les volumes de vin et les marchés compensent la pénurie française par les vins des autres pays. Dans les années qui suivirent, les ventes de vins ne redécollèrent pas et certains vignobles français ont joué la carte du prix pour retrouver des volumes qui ne reviendront jamais. On connait la suite : arrachage en masse, baisse des revenus, manques d’investissement, baisse de la compétitivité…

30 ans après, la plaie est encore ouverte et peine à cicatriser dans certaines régions viticoles comme le Languedoc-Roussillon ou le Bordelais. Les autres régions ont choisi la qualité, l’innovation, le marketing, la valorisation du produit, la juste rémunération, la régulation du marché. Cela n’empêche pas à ces derniers de subir les crises mais ils sont plus résilients.

2023 a résonné comme l’année de grêle de la brasserie artisanale : celle du changement de dynamique. Ce n’est pas le climat qui a touché le milieu brassicole mais un phénomène économique nommé inflation. La demande de bière artisanale n’a cessé de progresser pendant la dernière décennie. Le nombre d’acteurs s’est envolé et les volumes produits ont augmenté de manière exponentielle. C’était sans compter sur deux années de crise sanitaire suivies de deux années de crises inflationniste. Ces 4 ans ont eu raison de la folle croissance de la brasserie artisanale. Le consommateur est plus regardant et cherche les bonnes affaires.

Certaines brasseries artisanales se jettent dans la brèche et oublient que la guerre des prix est réservée a ceux qui ont les moyens de la mener. Ce n’est pas quand les trésoreries sont mises à mal qu’il faut baisser ses marges pour augmenter son volume de vente ! La qualité du produit en subira immédiatement les conséquences et tout le secteur sera impacté a long terme par une baisse du prix marché.

D’autres solutions existent pour résister à cette période difficile : la qualité, le développement durable, les filières courtes, le marketing, l’innovation, la fidélisation et j’en passe.

2024 sera l’acte de naissance d’une nouvelle ère pour un secteur encore jeune et fragile. J’appelle de mes vœux une brasserie artisanale professionnelle, qui se bat pour la qualité et l’authenticité des bières de terroir, laissant la guerre des prix aux solides acteurs industriels de notre pays.

L’avenir de notre belle profession est entre nos mains !